Basilique du Sacré-Cœur, Mercredi 27 juillet 2016 (Marseille)

28/07/2016 12:53

Homélie lors de la Messe pour la France, pour la paix,
pour le Père Jacques Hamel
et pour les victimes des attentats et leurs proches

Frères et sœurs,

Permettez-moi tout d’abord de vous dire combien nous, catholiques, prêtres et laïcs, sommes touchés de vous voir ici avec nous dans cette église pour partager notre peine et vivre avec nous cette épreuve. Votre présence nous va droit au cœur et elle est pour nous un très grand réconfort et un soutien.
Vous, nos frères et sœurs des autres églises chrétiennes, ministres du culte ou prêtres, baptisés avec lesquels nous partageons la même foi en Jésus-Christ.
Vous, nos frères aînés dans la foi, nos frères juifs à qui Dieu a parlé en premier.
Vous, nos frères musulmans qui croyez en Dieu plein de miséricorde.
Vous, nos frères bouddhistes qui cherchez la sagesse.
Vous, nos frères des différentes religions qui reconnaissez l’existence de Dieu et cherchez à l’écouter.
Vous, nos frères agnostiques, athées, indifférents, vous qui ne croyez pas mais qui cherchez la vérité.
Vous, mesdames et messieurs les élus de notre pays, les représentants des grandes administrations et institutions, qui vous dépensez pour que notre pays vive.
Vous, les membres d’autres nations.
Merci à tous d’être là.

Nous tous, ensemble, ce soir, nous sommes touchés, bouleversés, choqués et atteints au plus profond de notre cœur par cette vague d’attentats qui, telle une peste, voudrait nous anéantir. Que ce soit au Moyen-Orient, en Irak, en Syrie, en Afrique, dans tous les pays du monde, ou que ce soit en Europe, en Allemagne, en Belgique ou ici en France, nous sommes tous concernés. La violence, la haine, le meurtre, l’idéologie de mort, les caricatures et pathologies religieuses veulent briser, casser, détruire, tuer tout ce qui fait que, dans notre pays, chacun peut exister dans la liberté, l’égalité devant la loi, la fraternité, en formant un seul peuple.
La liberté de la presse est entravée avec l’attentat contre Charlie Hebdo.
Le respect de la vie de nos frères juifs et de leurs enfants est brisé dans l’attentat contre l’école juive à Toulouse et à l’Hyper Cacher.
La liberté de dîner au restaurant, de boire un café sur une terrasse, d’aller à un concert est anéantie.
La joie de pouvoir se promener en famille, avec des amis, après le feu d’artifice du 14 juillet tourne en tragédie.
Il y a maintenant péril de mort à pouvoir prier simplement dans la maison de Dieu.
Tous, nous sommes touchés, blessés ce soir dans ce qui est le cœur de notre vie : la liberté, l’égalité, la fraternité, le caractère unique, sacré, inviolable, infiniment respectable, la dignité absolue de chaque personne humaine.
Alors, oui, la tristesse, l’abattement, les pleurs, la colère, la peur, la haine, les questions peuvent nous traverser, tous ici, autant que nous sommes.

Mais, ce soir, au cœur de cette tragédie que nous traversons ensemble, je voudrais vous partager ce que nous catholiques, et plus largement nous chrétiens, avons de plus précieux, ce trésor, cette perle fine pour laquelle nous sommes prêts à tout donner, tout vendre, tout perdre, même la vie s’il le faut, pour l’acquérir et la partager.
Ce trésor, c’est Jésus-Christ, le Fils bien-aimé du Père, le Messie promis venu nous manifester l’amour de Dieu, guérir nos cœurs blessés, réconcilier les hommes avec Dieu, les hommes entre eux et chaque homme avec lui-même.

Jésus nous a révélé plusieurs choses.
A la suite d’Abraham, d’Isaac, de Jacob-Israël, de Moïse, des Prophètes, des Juges et des Rois, Jésus nous rappelle que nous formons une unique famille humaine. Tous les hommes et femmes de cette planète, quels que soient leurs races, leurs nationalités, leurs cultures, leurs religions, leur statut social, sont créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, tous sont membres d’une unique famille humaine. Dieu désire l’unité de cette famille, que tous soient ses enfants et que chacun se reconnaisse comme frère et sœur. Certes, cette famille est divisée, blessée par la haine et le péché, mais la vocation à l’unité et à la fraternité demeure possible. Cette unité de la famille humaine ne vient pas d’un contrat social, d’une déclaration, d’une décision ou d’une construction humaine. Elle est un don, elle est un appel qui résiste à nos limites et à nos faiblesses. En conséquence de cette appartenance à cette unique famille humaine, nous sommes appelés à nous respecter et à nous aimer les uns les autres.

Pour combattre la haine, il n’y a que l’amour. La seule manière de changer les cœurs durs des hommes, c’est l’amour. C’est là le centre de la foi chrétienne. Jésus, le Fils bien-aimé du Père, vient dans le monde, vient habiter notre humanité, se fait l’un de nous, c’est le sens de la fête de Noël, pour transformer l’humanité de l’intérieur. Sa vie solidaire de notre vie ne fut qu’amour. Jésus fut toute obéissance à Dieu son Père, l’aimant de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit, et aimant son prochain comme lui-même. Il manifesta l’amour du Père pour chacun par ses enseignements et aussi par ses gestes vis-à-vis des plus petits, guérissant les malades, pardonnant les pêcheurs, libérant les captifs, portant la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il a aimé jusqu’au bout, même quand il fut victime de l’injustice, quand il fut condamné, torturé et mis à mort. Sur la croix, attaché, livré, Jésus prononça une des paroles les plus importantes de l’Evangile : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » Face à la haine, Jésus opposa l’amour, la non-violence et le pardon. Il en mourut.
Seul cet amour peut toucher les cœurs de pierre et les changer en cœurs de chair. La haine se délite devant tant d’amour. Mais frères et sœurs, si le Christ était simplement mort, il n’y aurait pas de chrétiens aujourd’hui. Trois jours après sa mort, il ressuscita. Il apparut vivant à ses apôtres, victorieux de la mort et du péché. Et de témoin à témoin, dans la force de l’Esprit Saint, cette bonne nouvelle constitue le trésor, le roc, la Bonne Nouvelle qui fait vivre les chrétiens et qui nous donne l’audace d’espérer toujours et encore aujourd’hui : la vie est plus forte que la mort, l’amour est plus fort que la haine.

Hier matin, comme l’ont fait des prêtres dans des milliers d’églises dans le monde, le Père Jacques Hamel célébrait la messe en l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray. La messe, c’est la prière par laquelle ce que Jésus a fait par sa mort et sa résurrection nous rejoint, nous touche et nous transforme. Vous savez, chers amis, quand nous catholiques, nous célébrons la messe, ce n’est pas seulement pour nous mais c’est pour le monde entier. Le Père Hamel mis à mort rejoint la mort du Christ pour ressusciter avec lui. Sa vie, comme celle de Jésus, il l’a donnée pour que les cœurs des hommes changent et que la famille humaine soit une.

En conclusion, je voudrais vous livrer quelques conséquences, pour nous catholiques, pour nous chrétiens, de cette espérance qui nous habite.
Nous ne voulons pas nous venger. Nous voulons faire confiance, soutenir et participer aux institutions de notre pays qui ont la charge de rendre justice et d’assurer la sécurité de tous. Il y a des débats politiques sur la manière de faire fonctionner ces institutions et de les rendre plus efficaces. Et bien, que ces débats aient lieu dans le respect, l’écoute et la bienveillance.
Nous voulons continuer, promouvoir et persévérer dans les relations avec tous les habitants de notre pays, quelles que soient leurs religions ou opinions, travaillant avec tous les hommes de bonne volonté à édifier un monde plus juste et fraternel. Que de témoignages recevons-nous en ces jours et combien de dialogues s’instaurent !

Nous sommes dans la basilique du Sacré-Cœur où, chaque année, l’archevêque renouvelle la consécration de la ville au cœur rempli d’amour de Jésus pour combattre la peste qui dévasta Marseille en 1720. Nous continuerons à combattre la peste de la haine, à vivre, à prier, à adorer, à témoigner de cet amour de Jésus pour tous les hommes. A chaque messe célébrée dans toutes les églises de France et du monde, nous confessons cela, nous recevons la force pour travailler à ce que cette humanité devienne de plus en plus une famille fraternelle. Que dans le mystère de cette messe que nous célébrons, chacun d’entre nous soit rejoint, touché et guéri pour aimer d’avantage et vivre dans la paix et la fraternité.

Amen.

Père Pierre Brunet
Vicaire général